J’entame une série d’articles consacrée à cette petite bombe pour l’imagerie planétaire qu’est l’ASI224MC de la marque ZWO. Elle est très différente de la PLA-Mx que j’utilisais jusqu’à présent, notamment car sa taille de photosite est différente… Commençons par le commencement : le réglage de l’échantillonnage !
L’ASI224MC est LA caméra planétaire du moment. Il s’agit d’un petit évènement car c’est sans doute la première fois depuis la vénérable webcam ToUcam Pro du début de la décennie 2000 qu’une caméra couleur est identifiée comme l’outil le plus performant pour l’imagerie planétaire ! Son arrivée dans mon équipement est l’occasion de reparler d’une notion fondamentale en photographie astronomique : l’échantillonnage. J’ai déjà consacré un article sur mon blog à cette notion : à quoi sert l’échantillonnage ?
L’utilisation de l’ASI224MC posait un problème de taille à mon télescope. En effet, j’utilise depuis quelques années un télescope de Gregory de 250 mm doté d’une très longue focale au foyer primaire : 8 mètres ! Cette caractéristique permet de se passer complètement d’une lentille de barlow pour faire de la haute résolution, mais faute de pouvoir varier, elle pose la question de l’adaptation d’une caméra via sa taille de photosite (l’équivalent du pixel pour une image), sur le capteur). Si je reprends les choses depuis le début, avec mon télescope l’échantillonnage se présente comme suit :
Echantillonnage minimal théorique : 0,24″(secondes d’arc) par photosite, soit deux photosites pour le pouvoir séparateur théorique de 0,48″pour un 250.
Echantillonnage maximal théorique : 0,16″/photosite soit trois photosites pour le pouvoir séparateur. Cette valeur est souvent celle retenue en pratique par les photographes, car elle maximise la capacité du capteur à détecter les plus faibles variations de contraste, ce qui permet d’expliquer pourquoi on peut effectivement enregistrer sur les images des détails plus petits que le pouvoir séparateur théorique (pour ceux qui ont le livre Astronomie planétaire, tout ça est décrit en détail dans le chapitre 4).
En pratique, avec mes 8 mètres de focale au foyer, la PLA-Mx et ses photosites de 5,6 microns dépasse légèrement cette valeur théorique maximale puisque l’échantillonnage est de 0,14″/photosite. Cette valeur rend les réglages de la caméra et la mise au point un peu subtiles à réaliser et demande une utilisation intensive des techniques de dérotation WinJupos, néanmoins les performances sont au rendez-vous. Par contre, je ne peux pas faire varier la focale comme on le fait habituellement en changeant de Barlow. Or, le problème avec l’ASI224MC, c’est que ses photosites de seulement 3,75 microns de côté demandent une focale plus courte que la PLA-Mx. Concrètement, au foyer du Gregory, l’échantillonnage atteint maintenant une valeur énorme de 0,09″/pixel soit carrément 5 photosites pour le pouvoir séparateur !
Devant le risque de suréchantillonnage massif, j’ai décidé de tester une fonctionnalité bien connue des caméras qui est le binning. Le binning regroupe (par traitement électronique) les photosites du capteur par groupe (par exemple, 2×2 photosites en binning deux fois), ce qui donne alors l’équivalent d’une image deux fois plus petite, mais aussi quatre fois plus lumineuse. Utilisée en bin 2 avec mon 250, l’échantillonnage revient à 0,18″/photosite ou 2,7 photosites pour le pouvoir séparateur, une valeur en théorie complètement adaptée.
Mais pour en avoir le coeur net, j’ai fait des comparaisons entre le bin 1 et le bin 2, et voici les résultats concrets après plusieurs nuits d’utilisation ! Il est à noter toutefois qu’à ce stade, je ne sais pas si le binning 2x serait bien l’équivalent d’une focale deux fois plus courte. Je ne peux pas faire de commentaire là-dessus pour le moment.
Utilisation de la caméra en imagerie couleur
Voici, à gauche, une comparaison entre une image de Jupiter prise le 1er avril (sans présence de vertébré aquatique) en binning 1, et une autre prise juste avant en binning 2. Pour faciliter la visualisation, les deux images ont été cartographiées dans WinJupos avec utilisation de l’AB-correction qui permet d’effacer le gradient de luminosité du disque.
Bien entendu, les variations de conditions peuvent expliquer les différences en théorie, mais je précise que j’ai constaté ce résultat sur plusieurs nuits :).
Pour moi, le constat est sans appel, la résolution est nettement meilleure en binning 1 qu’en binning 2, où en dépit des calculs théoriques, j’aurais donc bien une perte de résolution.
A moins que cette perte soit due au processus de binning, l’explication pourrait être qu’effectivement, comme il est souvent dit, à cause de la présence de la matrice de Bayer, une caméra couleur demande une focale plus longue qu’une caméra noir et blanc. L’idée a, cependant, été combattue par l’observateur américain Dan Llewellyn dans un récent article de Sky & Telescope : Redeeming Color Planetary Cameras.
Utilisation de la caméra dans le proche infrarouge
L’ASI224MC, en dépit d’être une caméra couleur, est réputée pour être également très performante dans le proche IR, une longueur d’onde très intéressante en imagerie planétaire. J’ai également fait des tests dans cette bande, avec des résultats légèrement différents. Il est à noter que les conditions d’échantillonnage changent : en effet, le pouvoir séparateur d’un télescope est inférieur en infrarouge. Si le PS théorique avec un 250 est de 0,48″ dans le vert, il n’est plus que de 0,61″ à 700 nanomètres au début du proche IR. Autrement dit, la focale utile en infrarouge est plus courte que dans le visible. Dans ces conditions, est-ce que le binning 2x se rapproche de la pleine résolution ?
La comparaison, cette fois, est un peu moins claire. Il s’agit ici de deux prises de vue avec le Baader IR 685 du 12 mars 2016. Le résultat semble équivalent ou peu s’en faut au centre du disque. Par contre, l’hémisphère nord est sensiblement moins bon en binning 2x. Il se peut qu’ici la variation de la turbulence soit venue troubler le résultat, ou tout autre élément non voulu.
En introduisant la notion de pouvoir séparateur différent selon la longueur d’onde, on peut toutefois écarter, a priori, l’idée que le processus de binning est responsable de la perte de résolution en RVB ; dans le cas contraire, le phénomène se verrait également en IR.
En conclusion provisoire…
L’ASI224MC semble demander une focale très longue pour donner sa pleine mesure. Il me semble que la recherche d’un échantillonnage de 3 pixels pour le pouvoir séparateur est cette fois un minimum, et non un maximum. Heureusement, la très grande sensibilité de la caméra nous facilite la tâche : en dépit de l’énorme suréchantillonnage, la caméra sur Jupiter reste capable d’atteindre chez moi une cadence de 100 images par seconde, soit près de la cadence maximale théorique de 130 ips.
[Edit de mai 2016] Il apparaît qu’avec un capteur couleur, qui plus est un CMOS, le binning n’est pas un vrai binning. Pour plusieurs raisons techniques, le binning 2x serait plutôt l’équivalent d’un binning 4x. Ce qui permet d’expliquer la perte de résolution en binning 2x. Par contre, en infrarouge, tous les photosites étant bien sensibles, le binning 2x fonctionnerait correctement. Cette explication est cohérente avec les résultats ci-dessus. Par contre, impossible d’affirmer, du coup, que cette caméra demande effectivement une focale plus longue qu’avec un capteur noir et blanc.
22 commentaires
Merci Olivier pour ton analyse. Effectivement, il me semble que l’intérêt de l’ASI224MC est de supporter des temps d’exposition très courts, avec mon matériel son bon comportement de ce point de vue est d’autant plus remarquable que je suis obligé d’avoir cet échantillonnage énorme. Donc l’utiliser avec un temps d’expo long histoire de baisser le gain enlève une bonne partie de son intérêt. Ca compte dans la lutte contre la turbu.
Plutôt en accord aussi avec le reste de tes commentaires, c’est plus clair pour moi !
@Christophe
J’ai relu l’article de Dan Llewellyn
Très interessant, merci pour le lien.
Mais je suis quand même très dubitatif..
Par exemple la phrase: »
But be warned: gain adds electronic noise. For a color camera, you should limit the gain increase to as little as possible. I suggest using a modest frame rate to keep the gain settings low. »
Pas du tout d’accord. c’est faux
Le gain n’ajoute pas de bruit, c’est une légende urbaine.
Au contraire le bruit de lecture diminue avec le gain.
C’est le temps de pose plus court qui engendre un moins bon SNR.
Ensuite la phrase :
« Each pixel in an OSC camera reports information in all three color channels, regardless of which filter is over the pixel, when the image is run through an advanced debayering algorithm. »
L’auteur mélange joyeusement les photosite et les pixels restitués de l’image.
On ne peut pas faire abstraction du filtre qui est sur les photosite des capteurs couleurs comme il le dit. Le filtre coupe une partie de l’information et ça on ne peut pas la récupérer quelque soit l’intelligence de l’algorithme de debayerisation.
Par exemple si on image une mire bleue faite de trais verticaux, les photosites rouges ne vont servir à rien, on n’aura pas de signal. Pareil pour les verts.
Par contre dans la vraie vie, il y a plusieurs phénomènes qui viennent atténuer ça:
– les filtres des matrices de bayer n’ont pas des coupures très franches, il laissent passer un peu des couleurs adjacentes
– les objets imagés ont rarement des détails monochrome
– les images d’un film sont rarement allignées au pixel près : en cas de sous échantillonnage, ce décalage permetra de retrouver de l’info grace au drizzle
-> donc pour moi c’est plutôt toi qui est dans le vrai en échantillonnant très serré, plus que ce dont on avait l’habitude avec les capteurs mono.
Ces nouveaux capteurs couleurs ovrent de nouvelles possibilités inconnues jusque là:
– on peut échantillonner beaucoup plus serré qu’avec les anciens capteurs couleurs -> on peut enfin atteindre l’échantillonnage requis dans le bleu. Impossible à faire
– ou alors, on peu posser beaucoup plus court qu’avant (vers 7ms contre 20ms avant avec le ICX618) avec un F/D un peu plus court et faire des images correctes, même avec un peu de turbu, quite à passer un peu de drizzle.
Du coup quel est le meilleur F/D pour ce capteur…pas évident, ça dépend des jours, entre 20 et 40 en gros. ça laisse des possibilités…
…et ton article aide à y voir plus clair.
Bonjour,
Au fait petite précision sur la cam ccd que je vais utiliser.
Donc c’est une Inova NBB-Cx capteur couleur avec filtre IR cut
Taille du capteur 1/3 » soit une résolution maxi à l’écran de
Résolution : 1280*960 pixels
Taille d’un photosite carré:3,75µm
Convertisseur analogique/numérique : 8/12 bits
Binning 2*2 matériel
En mode cam
Vitesse d’acquisition en 8 bits : jusqu’à 30 i/s en pleine résolution
En mode acquisition
Temps d’exposition réglable entre 0.1ms à l’infini
Refroidissement par module peltier alimenté par USB
-30°
Formats de fichier : AVI (8/16 bits), FITS (8/16 bit) et SER (8/16bit)
Plugin iNova pour protocole ASCOM V6
En principe cette cam fonctionne sous windows, étant sous GNU/linux, je passe par des logiciels du monde libre
Donc maintenant il faut que le temps change car pas beau pour le moment.
Ok Christophe, mais comme je le précise, je tourne sous GNU/linux, d’après certain forum on peut faire fonctionner Winjupos sous Wine(émulateur windows), je vais tester ça et ferais un retour si je peut utiliser ce logiciel sous Linux, pour l’autre log Autostakkert je verrais aussi si cela fonctionne, sinon je devrait passer par les logiciels tournant sous linux
Intéressant Michel, tu pourrais voir si les méthodes de dérotation altazimuthales de WinJupos et Autostakkert fonctionnent bien. On manque un peu de retours…
Bonjour,
J’ai acheté il y a quelques mois une ccd Inova,toujours pas testé car le temps ne me le permet pas pour le moment
j’ai put l’installer sous GNU/Linux(Kubuntu 14.04)
j’utilise comme logiciel Kstars
dés que je le pourrais; je donnerais mes premières impressions sur cette ccd.
Le télescope que j’utiliserais pour cela est un dobson sky-watcher de 400 mim go-to, je le testerais aussi sur un vieux newton de 150 mim
Merci Luc. Excellent résultat. Comme je te le disais par mail, j’ai utilisé aussi d’excellents « petits » diamètres et j’ai toujours trouvés qu’ils supportaient particulièrement bien les longues focales, avec parfois des résultats étonnants à la clé en termes de résolution !
Bonjour,
Très intéressant ces tests, merci Christophe. De mon côté un des meilleurs résultats sur Jupiter a été à F/42 avec un échantillonnage de 0,1″ (6,6x le PS du Mak180). La barlow utilisée était une Klee de 2,8x. Voir ici: http://lpistor.chez-alice.fr/images/jupiter180315.jpg
C’était l’année dernière avec la 120mc (même dimensions de photosite que la 224).
J’ai acquis début d’année une 224mc, et une barlow Televue de 2x pour me rapprocher du FD/30, mais je n’en suis qu’aux débuts de mes essais.
En CP (je sais, ce n’est pas le sujet), pas de pixels chauds jusqu’à 20s de pose, un régal pour les objets relativement brillants. Mais il faut quand même faire des darks à cause du phénomène d’électroluminescence, très présent.
Quelques images planétaires et CP ici: http://lpistor.chez-alice.fr/derclichesastro.htm
Bonjour Emmanuël, les deux caméras semblent assez différentes notamment au niveau de la taille des photosites et celle du capteur. Le choix peut dépendre aussi de tes projets… si tu souhaite faire autre chose que du planétaire de temps à autre. Je ne connais pas la QHY5. N’hésite pas à poser la question sur un forum…
Bonjour
Pour moi qui possède un dobson 300/1500 sur une table équatoriale j’hésite entre l’asi 224 et la qhy5III 290. C’est vrai qu’étant nouveau dans le domaine beaucoup de questions viennent à se poser pour ne pas se tromper sur un achat.
Michel, non tu as raison, c’est un abus de langage :). Je vais corriger l’article quand j’aurai le temps.
Bonjour, très intéressant à savoir, mais j’ai remarqué que vous dîtes, pixels, ne voudrait mieux pas dire plutôt, photosites,oui je sait moi je suis très à cheval sur les bons termes à employer, mais il y a tout de même une différence, entre un pixel sur un écran et un photosite du module ccd;
Il faut en général plusieurs photosites pour faire un pixel à l’écran.
Donc est ce fait exprès d’utiliser le terme pixel pour présenter cette caméra?
Bonjour David, cette caméra n’existe qu’en version couleur pour le moment ! Donc je ne te conseille que celle-là ^^. J’espère juste qu’un jour une version monochrome sortira, ça serait une tuerie, surtout en IR.
Olivier, merci pour ces remarques, très intéressant en ce qui concerne la prise en compte de la longueur d’onde d’entrée. Qu’est-ce que tu penses de l’article de Dan Llewelyn ?
Merci pour cet article Christophe. Je lorgne sur cette caméra depuis un moment. Avec mon C11 j’utilise une barlow x2,7 avec une QHY5L-IIm. En passant à l’ASI224 je comprends donc que je peux pousser encore la focale (donc acheter une nouvelle barlow, ou augmenter le tirage!). J’hésite encore entre l’ASI224c ou la monochrome (j’ai fait récement l’acquisition d’un ADC). Que conseilles-tu?
Très interessant. Merci pour les infos et images. ça aide.
Une remarque générale : utiliser le 120/D comme critère de pouvoir séparateur a du sens en visuel, mais pas en photo.
En photo il faut tenir compte de la plus petite longueur d’onde que laisse passer le filtre passe bas en entrée du système.
Donc 400nm avec le filtre de luminance sur la ZWO (parfois 380nm).
Ensuite on échantillonne plus de 2 fois plus serré.
Dire que 0.18″ donne 2.7 fois el pouvoir séparateur est une erreur avec le filtre utilisé. En réalité on est tout juste à 2 pixels à 400nm, trop près du critère de Nyquist/Shannon. (d’autant que les filtres n’ont pas une pente infiniment raide).
Il faudrait un peu plus de marge…0.16″ par exemple avec une camera mono.
Maintenant on a une couleur avec des pixels verts 1.4 fois moins serrés et des pixels bleus et rouges 2 fois moins serrés. Donc en théorie il faudrait échantillonner à 0.08″ pour avoir toute la définition dans le bleu et le rouge.
Donc 0.09″ d’échantillonnage a du sens pour les pixels bleus. C’est juste inférieur à 2fois le pouvoir séparateur à 400nm avec ce capteur couleur et ce filtre (et pas 5 fois ;) )
Merci Didier. Une barlow 3x marchera bien en effet, mais gare aux effets des tirages qui vont t’emmener nettement au-delà de F/30. Une barlow 2x permettrait d’atteindre du x2,5 et ça se trouve, cela suffirait. Mais il faudrait tester :)
Salut William, merci pour ton témoignage ! 3,5x le PS ça doit être bon pour cette caméra, sans pour autant gêner les réglages. Quand je vois la vitesse à laquelle elle tourne à 5x le PS !!
venant de faire l’acquisition d’un Meade 10″ fd10 et également de la 224MC, il m’est très utile de recevoir cet article… il va donc surement que je privilégie la Barlow x3…ou plus.
MErci !
Didier
Salut Laurent, j’imagine que tu es dans le cas d’un télescope de petit diamètre, mais d’excellente qualité. Ca permet d’avoir la main lourde sur la focale… et d’en tirer le max du max. Mon ancien newton de 180 Arcane était dans ce cas…
Salut Christophe !
Je confirme également cela, après de nombreux essais dans la même soirée, je constate que les gros échantillonnages sont beaucoup plus fins et détaillés. Je suis passé de 0.110 à 0.99 et la différence de résolution est flagrante ! Dans ma configuration avec le C14 cela correspond à environ 3.5 X le PS. Je n’ai pu essayer plus, la mauvaise transparence parisienne me ferait perdre le bénéfice de la rapidité de la caméra !
Merci pour ton article.
Bon ciel !
Avec un SC 150mm dont le pouvoir séparateur est de 0.96″arc ,j’ai poussé l’échantillonnage à 0.21″arc/pixel avec ma QHY5L2c et de plus je traite en drizzle 1.5 avec AS!2 , ce qui me permet d’avoir plus de précision au niveau des ondelettes.Par expérience , c’est comme cela que j’ai les meilleurs résultats quand la turbu et le ciel sont avec moi , bien entendu !!
Laurent